La loi ELAN sera présentée en conseil des ministres le 4 avril. Les associations de défense des personnes handicapées sont alarmées par le texte, qui prévoit de réduire drastiquement la part de nouveaux logements accessibles aux personnes à mobilité réduite. A tel point que le projet pourrait être contraire aux conventions de l’ONU…
“J’aimerais avoir quelque chose à relater mais Jacques Mézard n’avait strictement rien à me dire !” Au sein des associations de défense des personnes souffrant d’un handicap, on s’interroge, on dialogue, on demande des renseignements mais le constat s’impose finalement : à quelques jours du projet de loi sur le logement, qui sera présenté en conseil des ministres ce mercredi 4 avril, l’inquiétude est générale. “La situation est catastrophique, s’alarme Christian François, administrateur de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées moteurs (ANPHIM). Le ministère du Logement nous a annoncé qu’il ne reculerait sur rien.” Et ce, malgré les désormais sempiternelles semaines de consultation et de discussions.
Deux hommes sont à la manœuvre : le vétéran Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, et son secrétaire d’Etat, le novice Julien Denormandie. Ils sont chargés de mettre en musique les promesses d’Emmanuel Macron pour répondre à la crise du logement. Et au sein des 66 articles qui composent le projet de loi dit “ELAN” (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), une polémique de l’automne revient au galop : celle de l’accessibilité au logement pour les personnes handicapées.
10% des logements accessibles contre 100% actuellement
En septembre dernier, le président avait affirmé sa volonté de “s’attaquer à des normes qui relèvent parfois de très bons sentiments“. En clair : remettre en question la loi de 2005, qui oblige les promoteurs à rendre 100% des logements construits accessibles, afin de les inciter à bâtir davantage. Le projet de loi ELAN, que nous avons pu consulter, matérialise ce choix politique en introduisant un système de quotas. L’article L111-7 du code de la construction et de l’habitation sera ainsi modifié : alors qu’actuellement, les habitations construites doivent être “accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap”, il sera rajouté un paragraphe précisant qu'”au sein de chaque bâtiment à usage d’habitation ou à usage mixte, au moins un dixième des logements” devront être accessibles. En clair, c’est un quota de 10% qui sera imposé aux promoteurs, contre 100% actuellement.
Pour démontrer l’inanité de ce système, Christian François sort la calculette : “Le projet de quotas du gouvernement consiste à réduire de 90% l’offre actuelle de logements accessibles“, assène l’associatif. Qui argumente : comme l’ancienne, la nouvelle réglementation s’applique uniquement aux nouveaux bâtiments. Ceux qui existent déjà n’auront toujours pas à être accessibles. En imposant seulement 10% de nouveaux logements accessibles, le total des habitations pouvant être occupées par des personnes à mobilité réduite serait donc in fine bien trop faible.
D’autant que l’enjeu ne se limite pas aux personnes vivant avec un handicap : avec le vieillissement de la population, l’accessibilité des logements pourrait devenir fondamentale pour une part de plus en plus grande de la population. La population âgée de 80 ans et plus (presque 4 millions au 1erjanvier) a augmenté depuis 35% depuis 2006. Soit beaucoup plus vite que le nombre de logements. D’après Christian François, qui se base sur les données de construction de l’Insee, la nouvelle loi Elan “se traduira, dans le parc social par la création anecdotique de 2.300 appartements accessibles par an. Soit un appartement HLM accessible pour… 30.000 habitants, parmi lesquels 1.800 sont âgés de plus de 80 ans, et 160 victimes d’un accident invalidant (AVC, infarctus, fracture du col du fémur)“. Des chiffres qui ont de quoi inquiéter, alors que la disponibilité en logements accessibles a chuté de 17% en huit ans (à population constante).
Sur les ascenseurs, la France à la traîne de l’Europe
En plus du système des quotas, le gouvernement n’a pas cédé un pouce sur une revendication majeure des associations du monde du handicap : le “R+3”. Derrière ce sigle abscons se cache une mesure toute simple : actuellement, il est obligatoire d’installer un ascenseur dans les logements collectifs qui comptent quatre étages en plus du rez-de-chaussée. Les militants de la cause des handicapés militent pour abaisser ce seuil à trois étages. Car à cause de cette limite réglementaire, les promoteurs s’arrangent… pour construire majoritairement des immeubles de moins de 4 étages. Ainsi, seuls 40% des logements construits sont des “R+4”.
Et si les normes d’accessibilité ne s’appliquent plus qu’à 10% des nouvelles habitations, “seuls 10% des 40% de logements ‘R+4’ auront obligatoirement des ascenseurs, s’alarme Prosper Teboul, le directeur général de l’Association des paralysés de France (APF). Cela représente seulement 4% de la production de logements neufs !” Le ministère du Logement s’est cependant montré inflexible, invoquant le coût supplémentaire des ascenseurs qui pèserait trop lourd pour les promoteurs. Celui-ci ne représenterait pourtant que 2% en plus du prix des travaux… “Seuls trois pays de l’Union européenne en sont restés à la réglementation R+4, renchérit Prosper Teboul. La Hongrie, la République tchèque, et la France.“
Le logement évolutif, un mirage ?
Pour répondre aux critiques, le gouvernement brandit le concept de “logement évolutif” : si seuls 10% des nouvelles habitations devront être accessibles, “les autres logements doivent être évolutifs“, précise le projet de loi ELAN. C’est-à-dire, construits de manière à pouvoir être adaptés rapidement à l’installation d’une personne à mobilité réduite. Mais le concept est défini de manière trop floue pour convaincre. L’APF était au départ favorable à l’introduction de cette notion, mais “tout dépend de ce qu’on entend par logement évolutif, pointe Prosper Teboul. Qu’est-ce que ça implique pour les toilettes, le salon, le balcon, les chambres ? Les indications fournies pour définir le logement évolutif ne nous satisfont pas“.
Christian François, de l’ANPHIM, se fait lui aussi concret pour exprimer ses réserves : “Si on veut transformer un 3 pièces avec deux chambres en un 2 pièces pour qu’une chambre soit accessible, il faut pouvoir casser les cloisons entre deux pièces. On n’en est franchement pas là !” D’autant que le logement évolutif cause d’autre problèmes : en combien de temps peut-il être rendu accessible ? Qui fera les travaux et surtout, qui les paiera ? Autant de paramètres laissés en suspens. Or, une personne qui devient handicapée après un accident ne peut se permettre d’attendre plusieurs mois obtenir un logement accessible. “Si on fait dix fois moins de logements accessibles aujourd’hui, on multiplie par dix les chantiers pour les rendre accessibles plus tard“, pointe Christian François.
D’autant qu’au-delà des logements évolutifs, les normes pour les habitations accessibles pourrait être nivelées par le bas. En effet, le projet ELAN prévoit que ce n’est plus la loi mais “des décrets en Conseil d’Etat” qui fixeront les “modalités relatives à l’accessibilité aux personnes handicapées (…) que doivent respecter les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux.” De quoi faire craindre des exigences amoindries pour les promoteurs.
Au-delà des détails techniques, c’est la philosophie générale du projet de loi qui déçoit les acteurs du monde du handicap. Car une association comme l’APF n’est pas foncièrement opposée à un retour sur les règles existantes, voire à une diminution des normes. “Lorsque le gouvernement annonce son souhait de faire prendre un virage inclusif au niveau du handicap et des personnes âgées, nous applaudissons !” relève Prosper Teboul, le directeur général. Pourquoi se retrouve-t-il dans le camp des opposants, alors ? “Car il y a une vraie contradiction entre la politique de santé et de soins de l’exécutif et ce qu’il veut faire en matière de logement.” Pourquoi promettre d’accompagner davantage les personnes à mobilité réduite, notamment d’augmenter le recours aux soins à domicile… et “en même temps” réduire considérablement les possibilités de constructions d’habitations accessibles ? Un tel grand écart nourrit le désarroi d’associatifs qui “n’ont pas la sensation de demander la lune. Il ne s’agit pas de donner un avantage, des privilèges aux personnes à mobilité réduite, juste de leur permettre de vivre comme tout un chacun.” Christian François parle d’“une régression pour le moins anachronique dans le contexte du vieillissement de la population et de ses conséquences.“
Le rapport de forces promet d’être tendu entre les acteurs du handicap et le gouvernement, accusé d’avoir “cédé face aux lobbies de l’immobilier“. Les premiers ont un sacré atout dans leur manche : ils affirment qu’en l’état, le projet de loi ELAN est contraire à la convention internationale des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, que la France a ratifié. Son article 19 dispose en effet que les personnes handicapées doivent bénéficier de “la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence.” L’APF menace de porter l’affaire devant le Défenseur des droits si le projet de loi reste en l’état. Premier point d’étape dans la bataille qui s’annonce : le conseil des ministres du 4 avril.