Des travailleurs sociaux de quatre départements expérimentent cette année “la référence de parcours social”. Le référent aide la personne à se repérer entre les différents partenaires et facilite ses démarches, en privilégiant son autonomie.
Assistants sociaux polyvalents, scolaires, de services d’insertion professionnelle, de santé, de santé mentale, d’aide à l’enfance, judiciaire ou de tutelle… une petite cinquantaine de travailleurs sociaux des 11e et 13e arrondissements de Paris peut désormais proposer aux personnes qu’ils accompagnent, de bénéficier de la référence de parcours. Ils ciblent les personnes et familles autour desquelles plusieurs services interviennent.
« Cela peut atteindre cinq à six travailleurs sociaux, auxquels peut s’ajouter une équipe par enfant », observe Marie-Laure Hauvet, assistante sociale scolaire. Une sorte de « millefeuille » social dans lequel les personnes dans une situation complexe peinent à se retrouver…
Public varié
Violaine Aboulfath, assistante sociale du service social polyvalent du 13e arrondissement, est la référente de parcours de six familles (sur une file active de 80 dossiers) : une personne isolée, une personne âgée en perte d’autonomie, des familles suivies aussi par le service social scolaire et le centre médicopsychologique.
« Nous avons essayé de proposer [la référence, NDLR] à un public varié », souligne-t-elle. « Pour comprendre les différents freins », ajoute sa collègue Malika Jaouani, qui est quant à elle la référente d’une personne handicapée, d’une femme seule avec cinq enfants et d’une retraitée.
« On propose la référence de parcours à des personnes qu’on connaît déjà. Il vaut mieux en parler en dehors d’une situation d’urgence ou de crise (expulsion locative…). Il faut aussi pouvoir disposer du temps nécessaire », poursuit Violaine Aboulfath.
Les travailleurs sociaux doivent en effet, d’abord, expliquer en quoi consiste la « référence », non obligatoire. Certains proposent aux personnes de choisir leur référent parmi tous les intervenants de leurs parcours la première fois qu’ils échangent sur le sujet. D’autres, comme Marie-Laure Hauvet, préfèrent attendre la rencontre suivante. Ses consœurs du service social polyvalent vont probablement aussi opter pour cette solution. Histoire de laisser aux personnes le temps de réfléchir au référent qu’elles souhaitent.
La direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé du département de Paris travaille avec quelque 700 associations. Ses travailleurs sociaux disposent d’un système d’information et de coordination des différents intervenants. Avec le référent de parcours, il s’agit de développer une approche plus globale de la situation des personnes accompagnées en leur redonnant le pouvoir d’agir sur leur parcours.
Clarifier les objectifs
« Les gens ont tendance à choisir comme référent la personne qui leur propose. Ils n’osent pas forcément dire qu’ils préféreraient plutôt un autre intervenant », remarque Violaine Aboulfath.
La peur de décevoir ou de vexer le travailleur social et d’être du coup moins accompagné biaiserait-elle le choix des personnes, s’interroge Maire-Laure Hauvet ?
Le travailleur social qui propose la référence ou qui a été choisi par la personne accompagnée liste avec elle les différents intervenants de son accompagnement social, les services pour lesquels ils travaillent et leurs coordonnées. Un outil essentiel de la référence de parcours. Les personnes choisissent quels intervenants elles souhaitent y faire figurer ou pas, mais il n’est pas rare qu’elles les ajoutent tous.
« C’est vraiment un plus », remarque l’assistante sociale scolaire. Cette liste permet aux personnes accompagnées de bien repérer qui fait quoi et de « clarifier les objectifs d’intervention de tel ou tel service. Cela donne lieu à des échanges intéressants sur la raison pour laquelle ces services interviennent, leurs missions, leur cadre d’intervention et la façon de les contacter », observe Violaine Aboulfath.
Même si le service dispose d’un outil de coordination, les travailleurs sociaux eux-mêmes découvrent certains partenaires et peuvent ainsi veiller à ce que certaines démarches ne soient pas réalisées en double.
Coffre-fort numérique
La référence de parcours comprend aussi la possibilité pour les personnes accompagnées de disposer d’un « coffre-fort » numérique. « C’est très utile et pratique pour des gens dont la vie est parfois très instable et qui perdent leurs documents facilement », poursuit Malika Jaouani.
Les référents n’y ont pas forcément accès : c’est la personne accompagnée qui choisit si elle les y autorise et pour quel document. Au cas par cas, elle peut ainsi leur permettre de transmettre directement un document à un partenaire, dans le respect du secret professionnel, ou d’y déposer un document : fiche de liaison pour l’épicerie sociale, notification d’accord pour une aide financière, etc.
« Cela leur évite de revenir en rendez-vous et fait gagner du temps », ajoute Violaine Aboulfath. Mais dans les faits, toutes les personnes concernées par la référence n’y ont pas accès. En effet, précise-t-elle, « la plupart des gens que nous recevons n’ont pas d’adresse email ni d’ordinateur ». Certains compensent avec leur smartphone mais pas tous, loin de là. Pour d’autres, cela reste compliqué à comprendre (et constitue parfois une occasion de s’initier à l’informatique).
À géométrie variable
L’expérimentation de la référence de parcours s’inscrit dans le plan interministériel sur le travail social lancé en octobre 2015. Paris avait pris les devants dès février dans le cadre de son Pacte parisien de lutte contre la grande exclusion. Le département compte donc une cinquantaine de référents potentiels et vingt-deux personnes accompagnées par un référent, indique Véronique Huber, cheffe de projet sur ce sujet au conseil départemental parisien.
Les modalités de l’expérimentation varient selon les départements, ainsi que le public ciblé : personnes éloignées de l’emploi en Ariège, couples avec enfants bénéficiaires du RSA et familles monoparentales dans le Pas-de-Calais, et toutes les personnes suivies par plusieurs travailleurs sociaux dans le Bas-Rhin et à Paris. Le bilan de l’expérimentation sera présenté début 2018.
Rôle de facilitateur
En cas de besoin, les personnes accompagnées peuvent contacter leur référent de parcours. Sollicitée par une personne, Malika Jaouani l’a reçue, a examiné les documents mal compris, les a expliqués et l’a orientée vers le partenaire ad hoc. « Le référent ne prend pas la place des autres professionnels », insiste-t-elle. Il joue plutôt le rôle de facilitateur.
Si la plus-value du dispositif est rapidement perceptible pour les personnes accompagnées, il permet aussi aux référents de mieux cerner le rôle des différents partenaires auprès d’une personne.
L’évaluation de l’expérimentation dira si elle améliore la coordination entre professionnels partenaires voire leur coopération. L’assistante sociale scolaire observe cependant un renforcement des partenariats et des échanges plus fréquents et formalisés avec les intervenants autour des personnes dont elle est référente. « Toujours avec leur accord », insiste-t-elle, puisque leur autonomie est bien au centre de ce dispositif.
« Sortir de la logique de silo »
« Cette expérimentation vise d’abord à vérifier si la question du parcours, c’est-à-dire celle du suivi des personnes dans le temps, est effective ou pas. Nous avons le sentiment, quand il y a une situation sociale complexe qui fait intervenir plus de deux partenaires, qu’il peut y avoir des problèmes de lien entre les intervenants. Pour que les évolutions ressenties par l’un soient ressenties par les autres, il faut peut-être passer par un tiers de confiance, une personne qui a toutes les informations sur la personne accompagnée. Nous espérons que cela permettra aux personnes de sortir plus vite des situations complexes, voire de prévenir les ruptures de parcours. Au-delà de la coordination, l’expérimentation montrera si le référent peut favoriser la coopération entre les intervenants en dépassant la logique de silo. »